Se tenir devant l’Éternel avec une volonté d’avancer
Rabbi David Hanania Pinto
« Moché alla et adressa ces paroles à tout Israël. Il leur dit : “Je suis aujourd’hui âgé de cent vingt ans, je ne pourrai plus aller et venir.ˮ » (Dévarim 31, 1-2)
Comme le laissa entendre Moché à travers ces mots, il avait atteint le terme de sa vie (cf. Roch Hachana 11a). Après avoir réprimandé les enfants d’Israël depuis le début de la section de Dévarim, il s’apprêtait à les quitter. Mais, où donc alla-t-il, au milieu de son discours au peuple juif ?
Comme nous le savons, les sections Nitsavim et Vayélekh sont, la plupart du temps, lues le même Chabbat. Quel est donc le lien les unissant ?
Celle de Vayélekh nous rapporte que Moché écrivit un séfer Torah, qu’il remit ensuite aux Cohanim, appartenant à sa tribu, Lévi. Pour quelle raison agit-il ainsi ? Afin que, si les enfants d’Israël en venaient à prétendre que la Torah n’est pas d’origine divine et n’a pas été donnée par l’intermédiaire de Moché, les membres de sa tribu pourraient leur prouver leur erreur en leur montrant ce séfer Torah, écrit sous la plume de Moché.
De plus, ce dernier ne se contenta pas de transcrire la Torah, mais, une fois cette tâche accomplie, il prit à témoin le ciel et la terre, créations éternelles, que, en cas de non-respect de celle-ci, le peuple juif serait puni. D’ailleurs, ils étaient eux-mêmes conscients que tous leurs malheurs étaient à imputer à leur mauvaise conduite, comme il est dit : « Lorsqu’alors fondront sur lui des maux nombreux et des épreuves, ce cantique portera contre lui témoignage, car la bouche de sa postérité ne l’oubliera pas. » (Dévarim 31, 21)
Moché prit également à témoin la Torah elle-même, comme il est écrit : « Prenez ce livre de la Loi et déposez-le sur le côté de l’arche d’alliance du Seigneur votre D.ieu, et il restera là, comme témoin. » (Ibid. 31, 26) En d’autres termes, s’ils ne respectaient pas la Torah, elle l’attesterait à leur sujet, ce qui entraînerait sur eux des malheurs. Aussi, avaient-ils d’ores et déjà tout intérêt à savoir qu’il leur était interdit de se relâcher.
Dès lors, nous comprenons le sens des mots de notre verset « Moché alla » : il alla écrire un séfer Torah, afin de le prendre à témoin de la conduite des enfants d’Israël et de les prévenir de leur devoir d’être toujours fidèles à ses lois. Le lien entre les sections Nitsavim et Vayélekh s’éclaircit du même coup. La première s’ouvre par la phrase « Vous vous tenez tous, aujourd’hui » (ibid. 29, 9). Or, selon le Zohar (II 32b), le terme « aujourd’hui » fait invariablement référence à Roch Hachana. Cet incipit fait donc allusion à ce premier jour de l’année, où tous les êtres humains comparaissent en justice devant le Saint béni soit-Il, qui s’apprête à prononcer Son verdict à leur sujet – « qui vivra et qui mourra, qui au terme de sa vie et qui prématurément, etc. ».
Toutefois, bien que Roch Hachana soit le jour du jugement, nous ne devons pas, sous l’effet de la crainte, tomber dans le désespoir, mais, au contraire, nous réjouir et être confiants dans la Miséricorde de l’Éternel, qui nous jugera sans doute favorablement. Chacun d’entre nous se renforcera donc dans le droit chemin et utilisera à bon escient tout instant de sa journée pour servir le Créateur. De la sorte, arrivé le jour de Roch Hachana, il sortira blanchi et sera inscrit et scellé pour une bonne année, placée sous le signe de la bénédiction.
Tel est donc le sens profond de la juxtaposition de nos deux sections lues, presque chaque année, autour de Roch Hachana et de Kippour, lorsque nous nous présentons au jugement et en ignorons l’aboutissement. En cette heure décisive, l’essentiel est d’être résolu à aller (vayélekh) de l’avant, à se raffermir dans les voies divines, à étudier la Torah et à l’enseigner à nos enfants, comparables à la tribu de Lévi. De cette manière, elle reposera dans son arche, c’est-à-dire sera ancrée en eux pour toutes les générations.
C’est ce que fit Moché avant son décès. Avant de quitter ce monde, il enseigna aux enfants d’Israël la manière d’éduquer leurs enfants (la tribu de Lévi). Il les sensibilisa à l’importance de leur transmettre une éducation pure, de les mettre en garde contre le danger de s’égarer dans des champs étrangers, de leur enseigner leur devoir de se tenir toujours devant l’Éternel, animés d’une foi entière, et de leur indiquer comment suivre la voie de la Torah avec la plus grande fidélité.
C’est pourquoi, en dépit du bel âge auquel Moché parvint, « son aspect n’avait pas changé, sa vigueur ne l’avait pas fui » (Dévarim 34, 7). Avec le zèle d’un jeune homme, il alla chercher des parchemins et de l’encre pour y écrire, aux yeux de tout le peuple, un séfer Torah, avec toutes les intentions requises. Malgré sa vieillesse, il désirait enseigner aux enfants d’Israël l’essence de la Torah et la vertu de ceux qui l’étudient continuellement. Il leur communiqua ainsi le message selon lequel il n’existe pas de limite d’âge pour étudier.
La section de Vayélekh met donc en scène la vaillance de Moché qui, nonobstant son âge avancé, poursuivit sa tâche d’enseigner Torah et morale aux enfants d’Israël. À travers sa persévérance, il leur signifia qu’il existe des moments où il faut se tenir immobile (nitsavim), s’en tenir à ses principes, et d’autres où, au contraire, il s’agit d’avancer (vayélekh).
PAROLES DE TSADIKIM
Le jour de Kippour en Diaspora
Autrefois, le Tribunal de Jérusalem déclarait la venue d’un nouveau mois en s’appuyant sur l’observation de la lune. Or, cette information mettant un certain temps à arriver aux Juifs habitant en Diaspora, ils ignoraient la date exacte des fêtes, qui en dépendait. C’est pourquoi, dans le doute, ils prirent l’habitude d’observer deux jours de fête au lieu d’un seul, coutume qui persiste jusqu’à aujourd’hui. Cependant, Kippour fait exception à ce principe, puisque, dans le monde entier, on ne jeûne qu’un seul jour. Pourquoi ?
La raison est explicitée dans les Hagahot Maïmoniyot [notes sur le Rambam] : à cause du danger que représenterait un jeûne de deux jours. Ce motif se retrouve également dans le Talmud de Jérusalem (Roch Hachana 1, 4), où il est raconté que le père de Rabbi Chmouel jeûna deux jours, à la clôture desquels il rendit l’âme. Une autre raison a été donnée, comme le rapporte le Maguen Avraham (Ora’h ‘Haïm 624) : « Si on jeûnait un deuxième jour pour Kippour, le premier aurait le statut de veille de Kippour, jour où il est interdit de jeûner, puisque c’est alors une mitsva de manger. Il est donc impossible de jeûner deux jours consécutifs. »
Dans les dernières générations, on ne trouve pas de cas de personnes ayant pris l’habitude de jeûner également le lendemain de Kippour. Le Ba’h écrit à ce sujet : « Actuellement, nous n’avons pas entendu parler de quiconque ayant la coutume de jeûner deux jours à Kippour. La coutume de s’en abstenir est bonne. » Dans le même esprit, l’auteur du ‘Hayé Adam note : « D’après le Choul’han Aroukh, certains ont l’habitude de jeûner deux jours à Kippour, mais, de nos jours, personne ne le fait. »
Toutefois, au cours des générations, d’aucuns se montrèrent rigoureux sur ce point et, tenant compte du doute planant sur la date des fêtes, observèrent deux jours de jeûne à Kippour.
Le Talmud (Roch Hachana 21a) rapporte ainsi que l’Amora Rabba avait cette coutume. Rachi explique qu’il jeûnait deux jours entiers, avec leurs nuits, de peur que le Tribunal n’ait annoncé que le mois précédent comptait trente jours ; le cas échéant, ce qu’il pensait lui-même être le onzième jour du mois était en réalité le dixième.
Rabbénou Yaakov, le Baal Hatourim, atteste : « Certains hommes pieux d’Allemagne avaient l’habitude de jeûner deux jours à Kippour. Parfois, ils étaient dix et ils priaient ensemble tout le rituel de Kippour. Mais, mon père et Maître, le Roch, les réprimandait pour cela. »
Les ouvrages des A’haronim mentionnent des avis selon lesquels il faut jeûner deux jours. Rabbi Yéchayahou Berlin, dans son commentaire Chéélat Chalom sur le Chéiltot, écrit : « Celui qui se sait capable de jeûner deux jours de suite le fera. “Ceux qui mettent leur espoir en D.ieu acquièrent de nouvelles forces.ˮ Puissé-je compter parmi eux ! »
L’auteur du Éleph Lématé prend position, lui aussi, en faveur de l’avis des plus stricts : « Ceux qui sont stricts considèrent que le père de Rabbi Chmouel (duquel on raconte qu’il rendit l’âme après un jeûne de deux jours) était un homme faible, incapable de supporter ce jeûne prolongé, alors qu’un homme se sachant capable de jeûner deux jours consécutifs n’a rien à craindre. D’ailleurs, nous voyons de nombreux hommes qui jeûnent plusieurs jours de suite sans en subir aucun dommage. »
Néanmoins, d’après le Maguen Avraham, on n’observe pas deux jours de jeûne à Kippour parce que c’est une mitsva de manger la veille de ce jour, ce qui, le cas échéant, serait impossible. D’après cet avis, il ne faudrait pas être strict en pratiquant un jeûne de deux jours.
CHEMIRAT HALACHONE
Auditeur et incitateur
Outre la prohibition d’écouter de la médisance, l’auditeur de celui qui émet ces critiques se fait son associé, puisque, en y prêtant oreille, il lui permet de s’exprimer devant quelqu’un. Il est donc considéré comme un incitateur.
S’il est le seul auditeur, il transgresse en plus l’interdiction « Ne mets pas d’obstacle devant un aveugle », qui inclut celle de conduire un autre Juif au péché, puisqu’il est responsable d’avoir donné à autrui l’opportunité de médire.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Davantage de biens, davantage de soucis
Une fois, une femme à la fortune colossale vint me demander conseil concernant un certain problème auquel elle était confrontée. Grâce à D.ieu, je fus en mesure de lui donner un conseil approprié.
Quand elle me remercia, je sentis que son cœur s’était un peu adouci. Aussi, saisissant cette occasion, je tentai de la convaincre de revenir à la Torah et à la pratique des mitsvot.
Cinq années passèrent et j’appris qu’elle n’avait malheureusement pas changé son mode de vie comme je l’espérais. Je décidai donc de la contacter de nouveau pour tenter de la raisonner, de la convaincre de faire téchouva et d’accepter de se soumettre au joug des mitsvot. Elle accepta finalement mes paroles et s’engagea à revenir dans le droit chemin.
Quelque temps après, elle revint me voir et me fit l’aveu suivant : « Ce n’est que maintenant, après avoir fait téchouva, que je me sens heureuse et que j’arrive à apprécier tous les honneurs et la richesse dont je suis entourée. Jusqu’à ce jour, je n’avais aucune satisfaction dans la vie, qui se résumait, pour moi, aux tracas liés à ma fortune. Mais, à présent que je connais le Créateur, je comprends le sens de la vie, le bonheur et la joie qu’elle recèle. »
« Qui accroît ses biens accroît ses soucis », affirment nos Maîtres (Avot 2, 7). Le riche vit toujours dans la crainte de perdre sa considérable fortune, source de bien des tracas, outre la jalousie qu’il éprouve pour celle de son prochain, encore plus riche que lui. En revanche, celui qui vit selon la voie de la Torah est heureux et plein de confiance en D.ieu, conscient que tout vient de Lui.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Reviens Israël (…). » (Hochéa chap. 14 ; Mikha chap. 7)
Lien avec le Chabbat : nous récitons cette haftara le Chabbat situé entre Roch Hachana et Kippour, car le thème de la téchouva y est évoqué, tandis que ces jours sont favorables au repentir et à l’expiation des péchés.
LA CHÉMITA
Les séfi’hin désignent toutes les pousses spontanées de céréales, grains ou légumes ayant poussé durant la chémita, soit à partir de graines semées avant celle-ci, soit à partir de racines qui ont été coupées et ont repoussé.
D’après la Torah, il est permis de manger les séfi’hin, comme tous les fruits de la septième année qui sont autorisés à la consommation. Mais, nos Sages nous l’ont interdit, parce qu’ils ont constaté que de nombreux individus semaient secrètement durant la septième année et prétendaient ensuite que leurs produits avaient poussé tout seuls. Suite à la propagation de ce péché, ils ont décrété l’interdiction de consommer les séfi’hin.
Toutefois, ces séfi’hin ne sont interdits qu’à la consommation, mais il est permis d’en tirer profit.
L’interdit des séfi’hin ne s’applique pas aux graines qui se sont ouvertes après être restées dans une cave ou un autre lieu d’entrepôt. Par ailleurs, elles sont exemptes de l’obligation des prélèvements.
PERLES SUR LA PARACHA
Le message de Moché à Yéhochoua
« Puis Moché appela Yéhochoua et lui dit aux yeux de tout Israël : “Sois fort et vaillant.ˮ » (Dévarim 31, 7)
Dans le Sifri, nos Maîtres interprètent ainsi les paroles de Moché à Yéhochoua : « Ce peuple que je te confie est encore composé de jeunes chevreaux, de petits bébés. Ne leur tiens pas rigueur, ne t’irrite pas contre eux, car même leur Maître ne leur a pas tenu rigueur pour leurs méfaits. C’est ce qui est dit : “Quand Israël était jeune, Je l’avais pris en affection.ˮ (Hochéa 11, 1) »
Tout dépend de nous
« Enseigne-le aux enfants d’Israël, mets-le dans leur bouche. » (Dévarim 31, 19)
Dans son ouvrage Mikhtav Mé-Eliahou, Rav Eliahou Dessler zatsal illustre cette idée par une réalité de la vie courante. Quand un homme en bonne santé veut manger, il peut s’alimenter seul. Par contre, un homme faible ou un jeune enfant ont besoin de l’assistance de quelqu’un pour leur mettre la nourriture dans la bouche. Toutefois, ils doivent eux-mêmes l’avaler.
Il en est de même concernant le don de la Torah. L’Éternel chargea Moché de donner la Torah aux enfants d’Israël et de la leur enseigner, de la mettre dans leur bouche. Cependant, le fait d’avaler la Torah, de l’intégrer en soi, ne dépend que de nous.
Quand la marchandise est épuisée
« Lorsqu’alors fondront sur lui des maux nombreux et des épreuves. » (Dévarim 31, 21)
Vers le soir, écrit le Maguid de Douvna zatsal, quand le marchand a déjà vendu presque toute sa marchandise et n’a plus qu’un petit nombre de fruits, il est pressé de rentrer chez lui. Il prend alors les quelques poires restées dans un panier, les quelques prunes d’un autre, etc., et les mélange pour les vendre à moitié prix. Car il cherche à s’en débarrasser le plus rapidement possible.
Dans notre verset, nous lisons « Lorsqu’alors fondront sur lui des maux nombreux et des épreuves ». La multiplication de divers malheurs accablant le peuple juif est le signe que nous sommes arrivés à la fin des temps et approchons de la venue du Messie – puisse-t-elle avoir lieu bientôt et de nos jours !
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La Torah, un avant-goût du jardin d’Eden dans ce monde
« Moché alla ensuite adresser ces paroles à tout Israël. » (Dévarim 31, 1)
Le Or Ha’haïm demande où Moché alla. Il rapporte, tout d’abord, les paroles de Rabbi Yonathan ben Ouziel selon lesquelles il se rendit à la maison d’étude ou bien du camp des Lévites à celui d’Israël, comme un homme qui s’apprête à se séparer de son prochain. Mais, il objecte ensuite que ce sens n’apparaît pas explicitement dans notre verset. Enfin, il soulève la question suivante : comment Moché savait-il qu’il avait atteint le terme de son existence ? L’homme n’est pourtant pas informé du jour de sa mort.
Celui qui se plonge dans l’étude de la Torah a le mérite, déjà dans ce monde, de ressentir un avant-goût du monde à venir. Afin de le prouver aux enfants d’Israël, Moché, avant sa mort, transmit toutes ses connaissances de Torah à Yéhochoua, aux yeux de ces derniers. Il lui permit ainsi de goûter à cette saveur subtile à travers la Torah. Il le fit juste avant son décès, afin de lui signifier que, dans le monde de Vérité, il pourra bientôt se délecter de cette saveur, après avoir voué toute sa vie à l’étude et l’enseignement de la Torah.
Tel est le sens de la précision du verset « Moché alla » : il se rendit à la maison d’étude, puis se dirigea vers le camp des Lévites et, enfin, vers celui d’Israël. Autrement dit, il se déplaça d’un endroit à l’autre parmi les membres du peuple, afin de leur permettre de ressentir la saveur du jardin d’Eden recélée dans l’étude de la Torah. Il désirait leur enseigner que, si on s’attelle à la tâche de l’étude de la Torah, on a l’opportunité d’y goûter déjà sur terre.
C’est la raison pour laquelle il est si difficile aux justes de quitter ce monde, où ils ont pu jouir de la saveur du jardin d’Eden par le biais de l’étude et de l’accomplissement des mitsvot. Outre cette considérable jouissance et la grande part qui leur est réservée dans le monde à venir, ils apportent de la satisfaction au Créateur quand ils vainquent le mauvais penchant en lui montrant cette saveur ressentie sur terre et qui n’a pas d’égale.
Heureux sommes-nous d’avoir le mérite de ressentir l’éclat de la Présence divine dès ce monde ! Tel était le souhait le plus cher du roi David : « Il est une chose que je demande au Seigneur, que je réclame instamment, c’est de séjourner dans la maison de l’Éternel tous les jours de ma vie, de contempler la splendeur de l’Éternel et de fréquenter Son sanctuaire. » (Téhilim 27, 4)
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
L’opportunité d’échapper aux durs décrets
Les dix jours de pénitence séparant Roch Hachana de Kippour représentent l’un des plus précieux cadeaux donnés par le Créateur aux hommes. Durant cette période, nous avons la possibilité de modifier totalement le verdict divin prononcé à notre sujet. Il arrive qu’un décret très dur soit prononcé à l’encontre d’un individu, dont les défenseurs doivent déployer toutes leurs ressources pour parvenir à atténuer sa sévérité.
Y a-t-il un moyen facile d’adoucir le jugement ? Contrairement à toute attente, la réponse est positive. Effectivement, cela est envisageable. D’après nos Sages, il existe une manière efficace et, de surcroît, très peu préjudiciable : les affronts. Si nous savions combien de mauvais décrets ils nous épargnent, nous danserions de joie après avoir subi une offense.
Le kabbaliste Rabbi Moché Cordovéro – que son mérite nous protège – écrit dans son ouvrage Tomer Dévora : « Quelles sont les meilleures épreuves de ce monde, qui n’entravent pas notre service divin ? Les meilleures de toutes sont le déshonneur, la honte et l’injure. Car elles ne diminuent pas notre force ni notre pouvoir, comme les maladies. Elles ne diminuent pas non plus nos moyens de nous procurer nourriture et vêtements. Enfin, elles ne mettent pas un terme à notre vie ni à celles de nos enfants par la mort. Aussi les rechercherons-nous et nous dirons-nous : “Mieux vaut subir l’humiliation des hommes !ˮ Et, lorsque nous serons rabaissés, nous nous réjouirons. »
Une des situations les plus désagréables est d’être soupçonné à tort. Un homme droit sait qu’il est dénué de tout péché, mais une vaine accusation à son sujet lui ôte sa sérénité. Parfois, il est en mesure de prouver son innocence. Dans le cas contraire, en tant que croyant fils de croyants, il se raffermira à la pensée que « l’homme ne voit que l’extérieur, D.ieu regarde le cœur » (Chmouel I 16, 7).
Celui qui considère les choses avec une vision réfléchie sait que le fait d’être soupçonné à tort est l’opportunité rêvée pour échapper aux durs décrets et, en plus, jouir de la bénédiction divine. Qui sait si une telle opportunité se présentera de nouveau ?
Le moment propice pour la bénédiction
Rapportons, à ce sujet, une histoire datant de l’époque du ‘Hafets ‘Haïm zatsal. Il avait l’habitude de voyager d’un village à l’autre pour vendre ses livres à prix réduit, afin de donner du mérite au grand nombre. Parfois, il les vendait même à crédit, pour permettre aux gens de commencer à les étudier. Il notait leurs dettes dans un petit carnet réservé à cet usage et, à sa prochaine visite dans ce village, il les leur réclamait.
Un jour, il arriva au village polonais de Drohizhin, où vivait un érudit craignant le Ciel et aux traits de caractère raffinés, Rabbi Mordékhaï Leib HaCohen. Il lui acheta ses ouvrages et les paya immédiatement en espèces. Ce Sage mettait en effet un point d’honneur à ne jamais rien acheter à crédit.
Lorsque le ‘Hafets ‘Haïm fut de nouveau de passage dans cette localité, ses envoyés se rendirent chez cet érudit pour lui réclamer sa dette, inscrite dans le carnet. Rabbi Mordékhaï Leib argua qu’il était impossible qu’il ne s’en fût pas encore acquitté, puisqu’il avait l’habitude de toujours régler ses achats sur-le-champ et ne devait donc pas même un centime à personne. Cependant, on lui montra qu’il était écrit noir sur blanc que Mordékhaï HaCohen de Drohizhin devait au ‘Hafets ‘Haïm tant et tant d’argent pour des livres achetés à telle date.
Bien qu’il fût certain d’être dans son bon droit, l’érudit ne voulut pas discuter davantage et leur remit cette somme. Quelques jours plus tard, on se rendit compte de l’erreur : dans ce village, habitaient deux Juifs du nom de Mordékhaï HaCohen. L’homonyme de l’érudit, qui ne portait cependant pas le deuxième prénom « Leib », avait effectivement acheté à crédit les livres du Sage.
Ce dernier s’empressa alors de se rendre lui-même à la demeure de Rabbi Mordékhaï Leib pour lui demander pardon. Mais, il était doté de si bonnes vertus qu’il ne lui en voulait pas du tout. Face à cette noblesse d’âme, le ‘Hafets ‘Haïm, admiratif, lui adressa sa bénédiction : « Puissiez-vous jouir de bonnes et longues années ! »
Cette bénédiction se réalisa pleinement, puisque son bénéficiaire eut le mérite de s’installer en Terre Sainte et d’atteindre le bel âge de quatre-vingt-seize ans.
Au fil des années, Rabbi Mordékahï Leib prit l’habitude de raconter cette histoire à ses descendants, en leur expliquant que, quand quelqu’un est soupçonné à tort par son prochain, c’est le moment propice pour lui de demander une bénédiction à ce dernier.
Quelle est la source de ce principe ? Lorsque ‘Hanna pria en silence, sans émettre de son, le prêtre Elie la prit pour une soûlarde. Quand il se rendit compte de sa méprise et comprit qu’il s’agissait d’une femme sobre, mais affligée, il s’empressa de la bénir en lui souhaitant que l’Éternel agrée sa requête, bénédiction qui s’accomplit. Rabbi Elazar en déduit : « D’où l’obligation incombant à celui qui soupçonne un innocent de l’apaiser. »
Ainsi donc, si un homme a été suspecté à tort par son prochain, au lieu de débattre avec lui pour lui prouver son erreur, il lui sera bien plus profitable de lui demander de le bénir dans le domaine qui lui tient à cœur. La peine qu’il aura éprouvée sera insignifiante par rapport au large bénéfice récolté de cette bénédiction prononcée à une heure si favorable.